Le syndrome de la plante grimpante

Dans tous les sens

Afin d’étoffer un peu le concept de parasitage sensoriel, j’ai essayé de réfléchir à ce qui pouvait être gênant, dans ma vie d’Hypersensible notoire. C’est qu’il y a un sacré paquet de trucs … et qu’il est impossible de penser à tout. Échantillon.

*Le toucher*

– Toucher une éponge pas essorée

– Enlever avec mes doigts la bouffe coincée dans le siphon de l’évier

– Toucher ET sentir de la viande crue

– Ramasser avec ma main les restes des autres sur la table

– Toucher l’intérieur d’une tomate (je te le concède, ce n’est pas une étape incontournable dans une vie, mais ça peut arriver).

Il semblerait toutefois que j’ai l’intolérance subjective, car venant de mes enfants, je peux –presque– tout supporter. On m’a vomi dessus, pissé dessus, j’ai accepté qu’on m’offre une crotte de nez gênante et j’ai pêché dans ma main du caca dans le bain.

Au sujet du Toucher, y’a aussi un truc qui se joue avec les vêtements. J’aime par-dessus tout, être habillée et chaussée avec des trucs confortables. Les vêtements trop près du corps accentuent mon malaise global ; social et corporel. Le string est un concept complètement impossible, les talons hauts également. L’un comme l’autre me donne l’impression d’être gracieuse comme un flamant rose. J’éprouve déjà grand peine à me présenter correctement et corriger sans cesse ma posture ratatinée. Alors une culotte rentrée dans les fesses ou une tige sous le pied, ça relève clairement de la torture. En fait, j’ai très vite l’impression d’être déguisée. J’ai affectionné très fort les vêtements de sport, de ma petite enfance jusqu’à la fin d’adolescence. Non pas par ‘’goût’’ vestimentaire ; j’en ai jamais vraiment eu et beaucoup de mal à y trouver de l’intérêt. C’était essentiellement une recherche de ce confort et aussi de camouflage, que ces vêtements amples permettent.

*L’Odorat *

– La bouffe froide, toujours elle. L’effluve d’une boite de conserve fraîchement décapsulée m’envoie aux portes de l’Enfer.

– L’odeur de cuisine du lendemain.

– L’odeur des vêtements restés dans le placard, ou en cartons. Ou celle des vêtements de mes colis Vinted, aussi lavés soigneusement soient-il. Ca sent ‘’chez les gens’’ et ça me dérange, jusqu’à ce que je les relave. 

– L’Odeur des gens eux-mêmes. Mention spéciale pour l’haleine, certains parfums, la transpiration et la clope. L’autre jour, j’étais à l’étage en train de coucher mes Nains d’Amour et j’ai ‘’senti’’ qu’une copine était rentrée et m’attendait dans mon salon. Elle avait amené une pizza chèvre-miel, mais c’est elle que j’ai sentie. Dieu préserve, son parfum est très agréable (coucou Popo).

Du côté de l’Odorat, il y a aussi de chouettes choses auxquelles je suis très sensible (on a dit que l’Hypersensibilité, ce n’était pas QUE de la merde, rappelle-toi).

J’aime très fort :

– L’odeur de l’herbe coupée

– l’odeur du bois

– l’odeur du thé au jasmin

– l’odeur de dehors, après la pluie

– l’odeur de mes enfants (toujours eux)

– l’odeur de l’intérieur d’un livre

– l’odeur du feu de cheminée.

* Le Goût*

Trop rien à dire là-dessus, mis à part que j’aime beaucoup trop le sel.

*La Vue et L’Ouïe*

Ces deux-là, je les mets ensemble car ce sont pour moi ceux qui prennent sans conteste le plus de place et de manière très souvent simultanée. Je peux même dire que je lutte beaucoup contre l’envahissement, très souvent.

La lumière. Le mouvement. Les détails. Un cadre pas droit sur le mur, derrière quelqu’un qui me parle et je vais être gênée pour écouter. Globalement, il y a un demi-milliards de trucs qui rendent ma concentration difficile, voire réduite à néant, quand on me cause. Le cadre de travers, à l’image de tout Détail venant perturber ma sérénité oculaire.

Pendant que tu me parles, je vais malgré moi commencer à compter les carreaux sur la nappe, ou les petites fleurs, ou les trous de dentelle. Ou tout ce qui peut se compter. Je vais les compter et espérer que ça tombe sur un chiffre pair, parce que c’est mieux quand même, les chiffres pairs.

Pendant que tu me parles, je vais tenter de ne pas focaliser sur ce poil de sourcil qui est pas rangé comme les autres, ou sur l’imperfection de symétrie de la bande de tapisserie derrière toi. Je vais également lutter pour ne pas m’arrêter sur tes tics de langage et ne pas compter combien de fois tu as dit « bref », ou « voilà », ou « en fait ». Je vais recroqueviller très fort mes orteils si jamais une faute de français t’échappe.

Je déteste les mots compliqués, pompeux, spécifiques ou scientifiques et les « jargonnages ». Par exemple, quand on parle de « la substantifique moelle » de quelque chose.

Dieu que ça me stresse. Déjà parce que t’es obligé de dire « substantifique » en articulant, sinon tu peux pas le dire, et parce que le mot « moelle », je le trouve profondément dégueulasse et j’ai l’image d’un os à moelle qui trempe au milieu d’un pot au feu.

Et forcément, le temps que je pense à tout ça, tu te doutes bien que je ne sais plus du tout de quoi on me parle.

Ha, y’a aussi les gens qui emploient des mots en anglais comme « on a brainstormé », ou j’ai une « call conf ». Ça m’ennuie beaucoup.

Non, j’en ai pas rien à faire, quand tu me parles. Je dois juste faire des efforts surhumains pour rester avec toi, souvent.

Tout est parasite. Une porte de placard ouverte. Le cordon gauche de ta capuche de veste, plus long que le droit. Et je te parle pas des conversations croisées, genre le repas de Noël où chacun a envie de parler à celui qui est de l’autre côté de la table, derrière les huîtres et le chapon.

Ou bien encore, du contexte du restaurant. J’ai souvenir d’une soirée au resto avec un ami. On avait réservé à l’extérieur, en terrasse. Il y avait un vent dingue, un monde dingue, et une tablée qui parlait en espagnol à côté de nous. Je regardais mon copain, mais je ne l’entendais pas. J’étais comme paralysée dans ma tête. Je n’ai pas réussi à gérer l’afflux d’informations. On a dû demander une table à l’intérieur.

Pour l’oscar de l’hyperacousie, je nominerais, dans la catégorie ‘’dégoût’’ :

  • Les bruits de bouche en général, croquer, mâcher, aspirer … avec bonus, si c’est fait en mode bétonnière grande ouverte
  • Les craquements de doigts
  • Le brossage des dents  
  • La déglutition
  • La toux grasse ou les reniflements

Et dans la catégorie ‘’agressions ultimes ‘’ :

  • Les bruits de verre et de vaisselle (idéalement, il faudrait que j’aille attendre dans le jardin quand quelqu’un vide le lave-vaisselle, mais en janvier, c’est chiant)
  • Les motos
  • Les feux d’artifice
  • Le tonnerre
  • La télé ou la musique estimée (toujours) trop fort
  • Le bouchon de champagne (parce qu’en plus, y’a le suspense)
  • Le sèche-cheveux
  • Les jouets musicaux
  • Les cris de mes enfants en mode ultrasons.

En parlant d’ultrasons, le médecin ORL qui m’a fait passer l’audiogramme pour évaluer mon hyperacousie m’a dit ‘’ tiens c’est rigolo, vous entendez des fréquences comme les dauphins’’.

C’est très poétique dit comme ça, mais en réalité, c’est pas pratique.

Enfin tu vois, je pourrais t’en parler longtemps. Souvent, quand j’essaie d’expliquer pourquoi je suis fatiguée, on est dubitatif sur tout ça.

<< Elle doit exagérer un peu, tout de même >>.

Et non pourtant, j’exagère pas. C’est autant de paramètres avec lesquels je dois dealer tous les jours, pour éviter de quitter le monde des vivants et partir vivre dans une grotte.

Quoique, ça raisonne, les grottes.

Et partir vivre dans un champ. Ne voir que les gens que j’ai choisis, quand j’ai choisi, ne plus jamais aller chez le coiffeur, faire livrer mes courses par Picard et me nourrir dans des assiettes en carton.

Ooooupla, faut que j’arrête. C’est vraiment trop tentant.

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